mardi 8 mars 2011

La prostitution : une solution à la sexualité des personnes très dépendantes ?

Publié par Le Lien Social 843 en Juilet 2007
« La sexualité des personnes très dépendantes » -
(en réaction dossier paru en juin 2007 dans Le Lien Social - qui développait l’intérêt du recours à des personnes prostituées pour satisfaire les besoins sexuels des personnes handicapées.)


Depuis 6000 ans[1], malheureux en amour, éjaculateurs précoces, moins bandants, timides, maris dont la femme ne veut plus, mais aussi psychopathes et violeurs payent des personnes prostituées pour le mirage d’oublier 5mn ou 2 jours –selon leurs moyens- ce qui s’appelle couramment la misère sexuelle. Les personnes handicapées aussi. Toulouse Lautrec nous l’a superbement et tragiquement démontré.

Pour les femmes, la prostitution n’a pas été une réponse aussi massive à leur misère sexuelle. Seules les femmes riches et puissantes ont pu oublier dans les bras d’un gigolo qu’elles étaient seules, moches ou que leur mari s’était lassé d’elles… Ceci change avec l’accès à l’égalité et à l’autonomie économique des femmes. Elles sont aujourd’hui invitées, elles aussi, à payer des services sexuels pour compenser leurs insatisfactions sexuelles.

Mais si la prostitution est bien un lieu de quête de solution sexuelle ou de liberté sexuelle, elle n’a jamais ni soigné ni libéré personne. Pour certain(e)s, ils y trouvent un lieu de décharge physiologique mais en aucun cas un traitement de fond quand à leur processus de développement sexuel. Je m’étonne alors que le recours aux services de personnes prostituées puisse être envisagé par des professionnels de l’action sanitaire et sociale comme la dernière innovation, une innovation révolutionnaire, un battage en brèche des tabous et du moralisme, la seule perspective d’accès à une sexualité épanouie. Et que les personnes prostituées qui n’ont aucune formation médicale, psychologique et sexologique soient regardées par des professionnels de la santé comme des expertes es-sexualité.

À partir de quelle définition de la santé sexuelle revendique-t-on pour les personnes handicapées (ou pour les mieux portants) un droit ? Comment détermine-t-on leurs besoins ? Comment a-t-on travaillé avec eux le désir qui va de la simple décharge physiologique (nécessaire à tous !) au désir d’un lien plus complexe ou plus profond (nécessaire aussi à tous) ? [2]

Droit à quoi ? À un rapport sexuel par semaine, par mois, par an ? 20 mn ou 2 heures ? Par le vagin, par l’anus ? Avec baisers ? Avec câlins, avec tendresse, avec énergie, avec violence ? Avec ou sans suite amoureuse ? Avec enfant ou sans enfant ?

La Suisse et la Hollande sont présentés comme des pays d’avant-garde pour oser utiliser des personnes prostituées pour satisfaire la libido des personnes handicapées. Pourtant, je vous rappelle que Grisélidis Réal, décédée en 2006, n’a pu être enterrée au cimetière de Genève car elle avait demande d’inscrire sur sa tombe : prostituée et écrivain. La condamnation morale de la société y est la même qu’en France : aucun parent suisse ou hollandais n’accueillera avec joie son fils ou sa fille disant : je veux devenir prostitué(e). Et aucune personne prostituée non plus.

Dans ces pays, les personnes prostituées n’ont qu’une tolérance sans réel statut  juridique, fiches de paye, couverture sociale et fiches de poste :
-          quelle formation ?
-          quels services sexuels doivent-elles accepter ? Combien ?
-          quelle reconversion quand patrons et clients n’en veulent plus ?
-          quelle protection des maladies liées à leur exercice ?

La France est présentée comme ringarde, engluée dans de vieux principes judéo-chrétiens de droite. Pourtant, c’est au nom d’une analyse politique qui a émergé à la fin du XIXème siècle dans la dynamique des luttes pour les droits de l’homme et qui lit dans la prostitution un rapport d’esclavage que la France a renoncé aux bordels légaux en 1946 et inscrit les personnes prostituées dans un statut de victime depuis 1960[3]. Ce mot victime doit s’entendre non comme de la compassion mais comme un statut juridique rappelé dans le Code de l’Action Sociale et des Familles (Art L121-9). Victime en droit implique secours, protection, soins et aide sociale et la possibilité de porter plainte et/ou de se porter partie civile contre un proxénète Il est donc inconcevable de demander à des victimes de continuer de se prostituer – même pour d’autres victimes de vie : les personnes handicapées. Et un établissement qui utiliserait des personnes prostituées pour ses résidents serait passible de proxénétisme car « aidant ou assistant la prostitution d’autrui » (Code Pénal art.222-5 et suivants).

Enfin, je vous invite à réfléchir sur les tarifs annoncés : 120 euros pour 20 mn. Qui, dans le social et la santé, gagne un salaire pareil ? Quatre fois plus qu’un médecin, qu’un kinésithérapeute, trois fois plus qu’un psychologue, 10 fois plus qu’une aide-soignante. Qu’est-ce qui justifie ce prix ?
-          le sexe vaudrait plus cher que l’hygiène et les soins quotidiens ? plus cher que l’éducation, la santé mentale et la santé physique ?
-          leur formation professionnelle ?
-          notre culpabilité de leur laisser « les basses tâches » ?
-          notre désarroi face aux questions de sexualité ?
-          le marché : les handicapés sont un marché florissant déjà pour bien du monde…

Si je comprends fort bien que des personnes prostituées trouvent une légitimité dans l’aide aux autres, je pense que les professionnels de l’action sanitaire et sociale ne peuvent pas s’engouffrer dans l’illusion de détenir ici la solution à la question de la santé sexuelle des personnes handicapées :
-          ces expérimentations sont rarissimes.
-          les personnes qui pratiquent ces actes ne s’en trouvent pas psychiquement mieux que tout soignant qui verrait ajouté à sa fiche de poste de pratiquer fellations, caresses ou coït avec les résident(e)s.
-          les caisses de remboursement sont des assurances privées. Nous ne pouvons imaginer la SS remboursant ce type de service quand elle ne rembourse encore pas la contraception, qu’elle déclasse les médicaments remboursés par centaines et qu’elle crée franchises et autres pénalités pour les malades.

La santé sexuelle est une vraie question. Et la sexualité des handicapés est bien sûr une source de souffrance majeure. Qui nous engage à travailler, à innover mais sûrement pas à se débarrasser du problème sur des personnes dont nous ne voudrions pas prendre la place ! Et s’il fallait former les personnes prostituées à la sexologie et à la thérapie, elles y apprendraient que le B.A. BA de la déontologie est de ne pas toucher sexuellement son patient. Elles y apprendraient comment on donne à chacun les moyens de faire plus et mieux avec son propre corps au lieu d’entretenir dans l’attente magique que quelqu’un va réaliser pour eux un miracle.

Non, il n’y aura pas de miracle sexuel pour les handicapés. Ils ne pourront pas faire comme s’ils n’avaient telle ou telle atteinte physiologique, neurologique ou mentale. Ils doivent – comme tout le monde – apprendre à faire avec ce qu’ils sont. Une réelle éducation à la sexualité pour des personnels soignants et des personnes elles-mêmes peut les y aider – tant sur les besoins physiologiques que sur les besoins relationnels – que sur la gestion des frustrations et leur potentialisation en énergie plutôt qu’en plainte. Le film de JY DESJARDINS « A mi-corps », exposant le travail sexologique effectué avec un homme paraplégique en est une illustration exceptionnelle. Mais bien sûr, cela nous oblige à confronter nos connaissances, nos peurs, nos tabous.

Car handicapés ou non, nous devons tous faire avec le corps que nous avons, travailler à se l’approprier pour gérer nos désirs, notre excitation sexuelle dans une dynamique de développement sexuel continu tout au long de la vie. C’est un travail – pas une solution magique. Alors regardons la sexualité en face, analysons besoins et moyens et travaillons à libérer les énergies sexuelles – non à les évacuer.

Martine COSTES PEPLINSKI
Sexologue (Fac de Médecine de Bobigny)
Formée à l’approche sexo-corporelle.
Auteur : Nature, Culture, Guerre et Prostitution- L’harmattan 2002- Coll Sexualité Humaine
L’espace METANOYA
metanoya@metanoya.org


[1] La prostitution apparaît à partir de 4000 av JC et s’institutionnalise pour la 1ère fois en 500 av JC à Athènes.
[2] L’approche sexo-corporelle distingue la décharge sexuelle physiologique – ORGASTE de l’ORGASME qui associe à cette décharge des dimensions émotionnelles dans une gamme qui peut varier de la volupté à l’extase.
[3] Ce statut juridique qui est bien sûr mis à mal depuis les mesures prises par la LSI en 2003 quand M. Sarkozy était Ministre de l’Intérieur.

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